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samedi 18 avril 2020

Faune sauvage, biodiversité et santé

Le contexte étant... voici une petite lecture du livre coordonné par Serge Morand, François Moutou et Céline Richomme, publié en 2014 aux éditions Quae

D'abord un petit préambule. Aujourd'hui, les questions environnementales sont au cœur des préoccupations, de manière plus ou moins hypocrite et cynique, mais toujours est-il que la capitalisme s'en est emparé pour en faire un argument pour ne pas dire le meilleur argument de vente du XXIe siècle. C'est le réchauffement climatique qui a emporté la mise. Sans m'avancer sur ce terrain, on peut toutefois s'étonner d'un certain décalage avec les problèmes rencontrés aujourd'hui de manière concrète. Aurélien Barrau le rappelle dans une intervention : "ce n'est pas le réchauffement climatique qui à ce stade est responsable de l'extinction de la vie sur Terre, ce sont les pesticides, la surpêche, la disparition des espaces de vie". 



Voilà, donc, l'influence d'un réchauffement climatique, c'est une question ; mais la catastrophe actuellement en cours n'y est pas liée, et de cela on ne s'inquiète que très rarement. D'après l'IPBES, qui estime qu'un million d'espèces sont menacées :
Depuis 1900, l'abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d'au moins 20 % en moyenne. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont menacés. La situation est moins claire pour les espèces d'insectes, mais les données disponibles conduisent à une estimation provisoire de 10 % d’espèces menacées. Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le 16ème siècle et plus de 9 % de toutes les races domestiquées de mammifères utilisées pour l’alimentation et l’agriculture avaient disparu en 2016, et 1 000 races de plus sont menacées.

La question de la biodiversité est difficile à appréhender. Il y aurait 8,7 millions d'espèces vivantes sur Terre (Mora, Plos Biology, 2011), et peut-être même plusieurs dizaines de millions puisqu'il est évident qu'on est loin de toutes les connaître et qu'il est extrêmement difficile d'estimer. Ces chiffres vertigineux n'ont rien de concret pour nous, qui ne connaissons même pas les quelques espèces animales et végétales que nous voyons tous les jours. Nous n'avons pas la plus infime conscience de la signification de cette diversité. Par ailleurs, on veut bien sauver un bébé phoque, mais ça ne nous empêchera pas de gazer dans la foulée une "armada" de guêpes ou moustiques. Il y a la bonne (un truc qui bouge) et la mauvaise (un truc qui bouge) biodiversité. La question des "nuisibles" devrait être repensée, car ce qui nous paraît nuisible d'un certain point de vue est également utile d'un autre (voir le travail de Georges Salines sur cette question). On cite fréquemment l'exemple du renard, encore presque partout classé "SOD" (susceptible d'occasionner des dégâts, acronyme langue de bois pour éviter de dire "nuisible"), qui croque peut-être quelques poules mais qui rend également de multiples services écosystémiques en mangeant des milliers de micro-mammifères par an, par exemple.

Aux problèmes d'ignorance et de volonté pas-forcément-bonne s'ajoute celui du décalage entre la cause et l'effet. Tout juste commençons-nous à prendre conscience qu'en consommant une pâte à tartiner, nous contribuons à décimer les populations d'orangs-outans. Mais pour un exemple de causalité cachée démasqué, combien restent absolument invisibles? Quand on plante un "arbre à papillons" dans son jardin, on est bien loin de se douter des répercussions extrêmement négatives pour la flore (évincée par ce compétiteur hors pair) et la faune (bernée mais faiblement nourrie par cet arbre) locales. En 2000, 97% de la biomasse de mammifères terrestres correspond aux humains et leurs animaux domestiques : il ne reste plus que 3% de biomasse de mammifères sauvages, alors que c'était 17% en 1900 (Smil, 2011). Les études le montrent, faute de quoi on n'en prendrait pas conscience.

Enfin, le principal obstacle que nous rencontrons dans la prise en compte de la biodiversité est selon moi la représentation que nous avons en Occident cartésien de l'Homme versus la nature, avec une coupure qui a même amené à penser l'Homme comme "maître de la nature". Edgar Morin appelait à retrouver le paradigme perdu : celui de la nature humaine ; et l'expression a plusieurs sens. Notre corps lui-même comprend plus de bactéries que de cellules humaines. Des virus seraient à l'origine, par exemple, de l'adaptation des mammifères ayant développé un placenta. La biodiversité est en nous, et nous la sommes en quelque sorte. Nous avons à dépasser ces anciennes conceptions et reconnaître que ce n'est pas nous réduire ou nous limiter que de constater que nous faisons partie intégrante du monde vivant, alors que, depuis le néolithique et l'apparition de l'élevage, l'espèce humaine s'est engagée dans un processus où elle entend s'extraire du monde animal. Ce travail diplomatique (voir la revue du livre de Morizot) doit nous réintégrer dans le monde du vivant, en prenant conscience de ce qui nous relie aux autres, et utiliser cette capacité de cognition que nous avons développé au cours des périodes où, chasseurs sans odorat, nous avons du connaître les autres pour pouvoir les attraper, et développer ainsi des compétences qui nous ont permis de devenir « scientifiques » aujourd’hui. Trouver, désormais, des stratégies de cohabitation. Morizot travaille à partir du cas du loup : certains en craignent l'intelligence, alors même que réussir à cohabiter avec un autre intelligent prouverait que nous avons su développer la notre, d'intelligence. Conclusion : ce qui est utile à la biodiversité nous est utile.

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Faune sauvage, biodiversité et santé, quels défis? 
Serge Morand, François Moutou, Céline Richomme (coord)
Editions Quae, 2014


Effets de la biodiversité sur les maladies parasitaires :

Il y a des effets contradictoires, d'amplification ou de dilution (qui comprend plusieurs limites).
  • Amplification : plus nombreuses sont les espèces hôtes disponibles, plus nombreuses sont les possibilités d'infections et de succès des cycles parasitaires
  • Dilution : une abondance d'espèces peu compétentes (par rapport à un parasite donné) diminue le nombre d'hôtes compétents et augmente la perte de parasites chez les hôtes peu compétents
Par ailleurs, si la disparition d'espèces joue un rôle, l'introduction de nouvelles espèces également, pouvant freiner ou au contraire augmenter la transmission d'un parasite local. De même la diversité génétique des hôtes peut favoriser les parasites (les hôtes étant alors susceptibles à un large spectre de parasites), ou au contraire limiter les transmissions et impacts.

Ces effets fortement contradictoires se jouent finalement à des échelles spatiales différentes, en fonction également de l'écologie locale, et des systèmes hôtes-parasites considérés.


Impact des espèces introduites sur l'émergence de maladies :

Ces introductions sont considérées comme un des 5 grands problèmes écologiques mondiaux. Une espèce introduite peut transporter avec elle des agents pathogènes (=> espèces locales), et augmenter ou réduire la circulation d'agents pathogènes déjà présents.

La plupart des introductions sont commerciales et mondialisées, et heurtent l'objectif de maîtrise des risques sanitaires.


Une écologie de la transmission des agents pathogènes?

L'hypothèse selon laquelle un écosystème riche en biodiversité serait gage d'un plus faible niveau de transmission de pathogènes ne semble pas généralisable. Du fait notamment de la complexité des réponses alimentaires des prédateurs, on ne peut pas simplement prédire d'une relation proie-prédateur les conséquences sur la transmission d'un pathogène par réseau trophique (transmission non-linéaire).


A quoi servent les parasites?

Bien que le parasite soit le plus souvent néfaste pour son hôte, les pressions de sélection indiquent que les effets ne sont pas toujours indésirables.

Par exemple, la présence de parasites peut contribuer à un meilleur état de santé général de l'hôte. Et cela conduit à de nouvelles pratiques médicales (thérapie helminthique).
Les parasites peuvent être considérés comme "clé de voûte" des communautés : plus la densité d'hôtes est fortes, plus les effets des parasites sont marqués (effet de régulation, et même facteur de coexistence d'espèces : sans parasites, nombres d'espèces seraient "effacées" par leurs concurrents).
Les parasites semblent également favoriser la diversité et la stabilité d'une communauté.
Les parasites favorisent également une reproduction sexuée qui joue un rôle majeur dans l'évolution par recombinaison permettant aux hôtes d'échapper à leurs parasites. La co-évolution hôte-parasite apparaît comme l'une des grandes explications de la biodiversité actuelle.


Résistance et tolérance aux agents pathogènes chez les animaux sauvages :

L'étude du système immunitaire ne s'intéresse que depuis peu aux forces évolutives qui l'ont façonné (immuno-écologie). Se défendre comme un parasite coûte et il est parfois bénéfique de le tolérer (porteur sain).

Impact en épidémiologie : l'existence d'individus-réservoir et "super-disséminateurs" est peut-être liée à la tolérance aux agents pathogènes d'individus présents dans une communauté composée au contraire de "résistants". Important pour contrôler les maladies infectieuses et les émergentes.


Les animaux sauvages se traitent-ils aux antibiotiques naturels?

Des exemples sont connus et doivent être identifiés comme intentionnels. Ils peuvent parfois contribuer à une immunité sociale. Certains comportements antiparasitaires permettent à des sociétés animales d'évoluer dans un environnement sain et économise ainsi l'activation coûteuse du système immunitaire. Ceci expliquant le succès écologique des insectes sociaux?

Avec les médecines humaines et vétérinaires se sont répandus mondialement des résistances à des molécules de synthèse. L'étude des comportements animaux permet de mettre à jour de nouvelles molécules, et ouvre de nouvelles perspectives. La chimiothérapie n'est pas une solution durable comme recours exclusif.

Revisiter les relations entre l'humain et l'animal : compréhension des origines de l'ethnomédecine humaine ; réflexions sur les orientations des modes d'élevages passés, actuels et futurs ; importance de préserver la biodiversité des ressources au bénéfice de la santé des humains et des animaux.


Impact des pesticides sur la santé de la faune sauvage

Le déclin de la faune sauvage en milieu cultivé est directement corrélé à la toxicité aiguë des pesticides. Par ailleurs, les pesticides fragilisent la dynamique des populations, en plus des effets directement létaux.

Des études ont montré que 47% des cadavres de rapaces récupérés étaient morts d'intoxication.


Les animaux détectent-ils les bactéries antibiorésistantes dans l'environnement?

Les oiseaux sauvages peuvent héberger et disséminer des bactéries antibiorésistantes. Certains oiseaux sauvages sont des marqueurs d'une pollution par les antibiotiques (mode de vie anthropique mais pas seulement, et/ou régime alimentaire). C'est révélateur de la pression anthropique sur les habitats.

Le rôle réservoir des oiseaux est en question, mais pour le moment le transfert en retour de bactéries résistantes des oiseaux sauvages vers l'humain ou les animaux domestiques n'est pas établi.


Les vautours sentinelles?

Présence humaine partout = dilution de la frontière domestique/sauvage. Mode d'euthanasie des animaux d'élevage en montagne pose problème (intoxication des vautours). Ces "sentinelles" interrogent les conséquences de certaines pratiques vétérinaires.


Comment les pesticides attaquent-ils les pollinisateurs?

Co-évolution sur plusieurs millions d'années des abeilles et plantes à fleurs. Service écosystémique de la pollinisation des cultures estimé à 153 milliards d'euros par an. Abeilles sauvages en net déclin, les pesticides ayant les mêmes effets sur les abeilles sauvages et autres pollinisateurs que sur les abeilles domestiques.

"Principalement utilisés dans la lutte contre les ravageurs de cultures, ils conduisent au déclin des insectes dont les plantes dépendent!"


Questionnements sanitaires en milieu urbain

Fréquentation en forêt : 2-10 personnes par hectare. Fréquentation d'un parc urbain lyonnais : 250-600 personnes par hectare. "Amener la nature en ville", mais aucune conscience d'un quelconque risque.

Les trames vertes et bleues peuvent même amener à la circulation d'espèces animales dans des zones inadaptées à leurs physiologie et comportements (collisions, morsures, transmissions de maladies, etc.). Jusqu'à 300 cas par jour d'allergies humaines et animales au parc de la Tête d'or.

Cas des chenilles processionnaires, du ricin, des étourneaux, des lauriers-roses, etc.

Les intoxications par une plante dans son aire de répartition sont rares, mas plus fréquentes dans des climats inadaptées car la plante peut, soufrant de gel ou de parasites, concentrer ses moyens de défenses et devenir plus toxiques.

Les villes peuvent constituer un creuset pour pathologies infectieuses, parasitaires, allergiques... Les espèces commensales sont également un facteur de risque sanitaire.


Perceptions de la santé de la faune sauvage

Les pandémies nous donnent un sentiment de vulnérabilité et une défiance vis-à-vis de la faune sauvage. Rôle de l'élevage et du transport de bétail, de la destruction/fragmentation des habitats naturels, pollution ou perturbation des mouvements de la faune dans l'émergence de nouvelles maladies.

Coupure ontologique radicale entre les êtres humains et les autres êtres vivants : vision occidentale non universelle. Prise de conscience tardive de la valeur patriomoniale des espèces sauvages locales : peut jouer un rôle. Conflit d'intérêts entre conservation de la nature et développement humain. Les aspects sanitaires pas encore assez pris en compte. La "conservation" des espèces prise entre plusieurs feux.

Notion de santé environnementale "Une seule santé" : vers une gestion intégrée des anthropo-écosystèmes qui ne viserait pas une élimination des agents pathogènes mais une "mitigation de leurs impacts". La menace d'une biodiversité "réservoir de pathogènes" est compensée par les services écosystémiques de cette biodiversité.

Enjeu d'éviter une diminution du soutien du public aux initiatives de conservation de la biodiversité et de favoriser des "solutions de gestion tenant compte de la valeur d'écosystèmes en bonne santé comme ressource directe et indirecte pour les populations".


Quels services rendus par les écosystèmes?

Lien établi entre santé des ecosystèmes et santé humaine et animale. Un monde sans parasite serait-il plus sain? Les études montrent le contraire.

Les maladies infectieuses sont plus nombreuses et diversifiées en zone à forte biodiversité (tropicale). Mais une forte biodiversité est associée à une réduction de prévalence d'infection.

Wallace a proposé en 2007 une méthode permettant d'identifier les services écosystémiques.


Conclusion

L'augmentation des atteintes à l'environnement par les changements d'usage des terres, la surexploitation des ressources vivantes et les pollutions diverses (issues des villes, des zones industrielles ou de l'agriculture) nous montrent clairement qu'une crise de la biodiversité est en cours. Cette crise s'accompagne-t-elle d'une crise épidémiologique, marquée par des émergences de maladies infectieuses nouvelles issues de la faune sauvage et domestique? Plusieurs chapitres de cet ouvrage nous laissent entendre que c'est à craindre.

Et de citer :
  • baisse de biodiversité => santé des animaux => santé humaine
  • pollutions => animaux sauvages
  • pollinisations et autres services écosystémiques menacés
  • utilisation massive d'antibiotiques => antibiorésistance majeure
  • augmentation contacts humains - non humains
  • augmentation de la dépendance à l'animal (régime alimentaire de plus en plus carné)

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