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mardi 25 août 2020

"Point objectif sur la circulation de SARS-CoV-2" - Réponse à Axel Kahn

 J’ai souvent apprécié les prises de position d’Axel Kahn, bien que parfois, voire souvent en désaccord sur le fond. En particulier, il m’a semblé que sa critique de l’usage de HCQ dans cette crise était l’une des meilleures que j’aie pu lire, les plus pertinentes et surtout l’une des moins fallacieuses (bien que, consistant à dire que les malades guérissaient spontanément dans 98% des cas, on ne pouvait pas donner un médicament potentiellement toxique aux gens, elle s’applique à mon avis bien davantage au Remdesivir qu’à HCQ, mais passons, ce n’est pas le débat ici).

Sa publication d’un « point objectif sur la circulation de SARS-CoV-2 » me semble en revanche très problématique et appelle donc une réponse, que voici :

POINT OBJECTIF SUR LA CIRCULATION DE SARS- CoV-2
Ce devrait être inutile, mais cela ne l’est pas...même pour certains des miens. Certains de mes anciens élèves, d’anciens collaborateurs à l’université....

Alors j’ai réuni des données récentes.

1, le taux de sujets infectés (pourcentage de PCR +) augmente, il a presque triplé depuis fin mai. Ce n’est pas encore dramatique (cela laisse craindre un triplement du nombre de morts, de 12 - 20 par jour fin août à 36 - 60 fin septembre) mais la hausse s’accroît tendanciellement.

Vous faites comme si nous étions, en juillet et en août, comme en février et mars. Or, la situation n’est absolument plus la même, et cet indicateur n’a plus du tout le même sens (s’il a eu un, au vu de la politique de tests aberrante dès le début). La mesure du nombre de cas n’est de toute façon pas un indicateur fiable pour décrire la situation épidémique, puisque 1571 tests ont été effectués le jour du confinement, et 132485 tests ont été effectués le 17 août. Le nombre de tests a donc été multiplié par 84 dans l’intervalle (et multiplié par 7 depuis le 30 mai). Un tel indicateur ne peut pas être utilisé pour décrire la situation épidémique.
Le pourcentage de tests positif peut paraitre plus pertinent, mais soulève un grand nombre de question. Au vu de la politique de tests, et de la situation épidémique, il est clair que les positifs d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’en mars et avril. Je ne suis pas expert en épidémiologie (j’y reviendrai), mais je vois au moins quelques raisons de ne pas alarmer le monde entier à la simple vue de cet indicateur :

·         Un positif peut être tout simplement un faux positif. Cela semble être d’autant plus probable que la probabilité pré-test est faible. La très grande majorité des personnes testées aujourd’hui étant asymptomatique, nous sommes bien dans cette situation.

·         Un positif peut également l’être sans être pour autant contaminant, parce que porteur d’ARN « mort ». Là aussi, cette probabilité est beaucoup plus forte en ce moment que durant le pic épidémique.

·         Une part non négligeable des positifs ont été testés à leur retour de vacances de pays étrangers. Cette situation serait en effet inquiétante si nous étions en période épidémique et si nous ne testions pas suffisamment ; mais ce n’est pas le cas : nous testons enfin suffisamment et ces cas ont donc toutes les chances d’être circonscrits.

·         Dans ces conditions, et tant que les indicateurs plus pertinents pour suivre l’épidémie (nombre de personnes hospitalisées, en réanimation, décédées) ne remontent pas, je crois qu’Eric Caumes, par exemple, a eu raison de déclarer que la circulation consistait en une campagne de vaccination naturelle qui serait, a priori, très utile en cas d’installation du virus dans le paysage.

Un point « objectif » devrait mentionner ces observations, ne serait-ce que pour les nuancer, les contredire, y apporter un éclairage factuel pour en mesurer l’ampleur. A vous lire, on a l’impression que tout cela n’existe pas, et on n’a plus qu’à attendre le « dramatique » qui n’est pas « encore » là. Nous avons, sur le mois d'août (du 1er au 24 août), et malgré la dite augmentation des cas, 64 morts de moins qu'au mois de juillet (du 1er au 24 juillet) : 330 en juillet, 266 en août (https://geodes.santepubliquefrance.fr/#c=indicator&f=0&i=covid_hospit.dc&s=2020-05-11&t=a01&view=map2). Cela constitue une baisse de 20%, alors que le nombre de cas positifs a augmenté.

 

2, dans la droite ligne du point 1, le nombre de sujets hospitalisés s’accroît légèrement mais tendanciellement (graphes 1 et 1’).

Il est vrai que le nombre de sujets nouvellement hospitalisés remonte, certes légèrement, mais remonte tout de même depuis cet été. Cependant, cela s’accompagne, dans la même période, d’une baisse continue, bien que lente, du nombre de personnes hospitalisées (22284 personnes hospitalisées le jour du déconfinement, 8536 personnes hospitalisées le 30 juin, 4690 personnes hospitalisées le 24 août, plus bas niveau depuis le 19 mars ; https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA). Cela confirme que le suivi est actuellement bien réalisé et que les personnes hospitalisées en sortent plus rapidement qu’avant, faute de quoi le nombre de personnes hospitalisées repartirait lui aussi à la hausse (ce qu’il faut surveiller en effet). La seule mention de l’augmentation du nombre de personnes nouvellement hospitalisées ne me semble pas refléter la réalité objective de la situation. D’autant, rappelons-le une nouvelle fois, qu’une partie de ces personnes (estimé à 40% par votre prof de physio incompétent) a contracté le virus à l’étranger, et qu’il semble logique à cette période de l’année qu’il y ait davantage de retours. Il s’agit donc d’être vigilant et attentif, mais pas inquiet ni angoissé. Idem pour le nombre de personnes en réanimation, relativement stable.

 

4, à Marseille (graphes 3 et 3’), on observe très bien la hausse première de la contamination dès juillet des jeunes adultes avec peu d’hospitalisations. Suivie de la hausse de la contamination des moins jeunes qui habitent la même ville qu’eux. Et cette fois un accroissement plus important des hospitalisations.

Dans les Bouches-du-Rhône, il y a 212 personnes hospitalisées (https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA). Il y en avait certes 203 le 14 août, mais 285 le 7 août et 392 le 26 juin. Je ne suis pas persuadé qu’il s’agisse là d’une situation particulièrement alarmante. Une vigilance raisonnable me semble suffisante.

 

5, Jean-François Toussaint est l’un de mes anciens professeurs lorsque j’étais Président de l’Université Paris Descartes. Un excellent spécialiste de la physiologie et de la performance sportive. Il n’a aucune expérience ni compétence en infectiologie, n’a aucune expérience personnelle du port du masque. Je ne vois comme cause à son délire actuel que l’ivresse d’une soudaine notoriété qu’il côtoyait moins dans sa spécialité des limites du progrès des performances des athlètes.

Vous pouviez à mon avis vous passer d’une attaque ad hominem de ce style. Qualifier un propos de « délire » n’est déjà pas très pertinent, surtout quand il est évident que ce n’est pas le cas (« Trouble psychique d'une personne qui a perdu le contact avec la réalité, qui perçoit et dit des choses qui ne concordent pas avec la réalité ou l'évidence, quelle que soit leur cohérence interne. » ; à tout le moins il faudrait démontrer la déconnexion de ses propos d’avec la réalité, et cela vous ne le faites pas). Le soupçonner d’une « ivresse » et d’une recherche de « notoriété » est un moyen facile mais assez peu honnête de balayer son argumentation. On aurait apprécié que vous vous contentiez de répondre à ses arguments, plutôt que de vous lancer dans la caricature, le mépris et l’insulte. Par ailleurs, il s’agit d’une attaque boomerang, dans le sens où le coup de la recherche de notoriété pourrait bien davantage vous être reproché à vous (il suffirait de compter vos passages médiatiques et de les comparer à ceux de M. Toussaint).

Par ailleurs, je vois ici un procès en incompétence qui me semble tout à fait néfaste pour l’image de la science, et pour la démocratie. Comme je l’ai dit, je ne suis pas expert en épidémiologie, ni d’ailleurs en rien du tout. Pour autant, je suis citoyen de ce pays qui se dit démocratique, et en cela, je suis censé pouvoir donner mon avis sur les décisions politiques. La confinement est une décision politique, la stratégie de dépistage est une décision politique, le lancement de Discovery est une décision politique, la mise en place du Conseil scientifique est une décision politique, le fait de réserver HCQ notamment aux cas graves à l’hôpital est une décision politique, le fait de propager le message « Restez chez vous et prenez du doliprane » est une décision politique, le fait d’interdire aux pharmacies pendant l’épidémie de vendre des masques est une décision politique, le fait d’obliger la population à porter le masque est une décision politique. Pour tout cela, ce n’est pas la Science descendue du ciel qui s’est imposée à nous, et différents pays ont adopté des positions différentes, voire le même pays a changé d’option du tout au tout en cours de route. Nous, citoyens, comme dirait l’autre, devrions être souverains sur ces décisions. Dans la pratique, ce n’est pas le cas, mais c’est un autre sujet (la réalité démocratique). Nous serons certainement d’accord sur la nécessité d’avoir un bon éclairage sur les enjeux afin que le peuple puisse prendre les meilleures décisions possibles. Mais je n’admets pas qu’un scientifique en disqualifie un autre pour incompétence. Si M. Toussaint n’est pas qualifié pour s’exprimer sur ces sujets, alors il n’y a qu’une petite poignée de personnes peut-être qui peut le faire (et encore), et la démocratie n’a strictement aucun sens : il faut un gouvernement d’experts et point final.


Je pense plutôt, pour ma part, qu’il faudrait au minimum l’instauration d’une assemblée citoyenne permanente et tirée au sort (tous les 6 mois ?), qui servirait en réalité de conseil scientifique, à proprement parler cette fois-ci, et qui aurait pour mission de s’emparer des questions qui traversent notre société, et de produire, par l’audition des différents experts en lien avec chaque question, un état des connaissances capable de servir de conseil à la décision politique. Je pense comme Jacques Testart que nous avons la compétence pour cela. Je pense également que cela déconnecterait un conseil scientifique des problèmes de conflits d’intérêts (dont nous avons malheureusement vu une magnifique illustration, ce qui est désastreux pour l’image de la science), et des problèmes de responsabilité (un conseil scientifique mis en place par le gouvernement ne peut être vu que comme une caution « scientifique » aux décisions qui sont prises, dès lors, les avis du conseil scientifique sont plus politiques que scientifiques).

 

6, durant tout le confinement, deux de mes enfants, une belle-fille ont été quotidiennement en contact avec des personnes malades de la Covid. Ils sont restés indemnes, en particulier parce qu’ils portaient des masques toute la journée.

Je crois que personne ne conteste ce point. En tout cas, je n’ai jamais entendu Jean-François Toussaint le contester. Nous étions nombreux, en mars et en avril, à réclamer effectivement des masques pour les personnels soignants, et pour que la population puisse aller consulter les médecins, plutôt que de rester chez soi avec du Doliprane. Cela n’a pour autant strictement rien à voir avec l’obligation faite à toute la population de porter un masque, et maintenant pourquoi pas en extérieur, après la période épidémique en juillet et en août.

 

7, les infirmières de blocs, les réanimateurs, les chirurgiens dont le métier s’exerce avec un masque n’en reviennent pas de la stupidité de l’affirmation selon laquelle les masques seraient dangereux, des nids à microbes...

Peut-être pourriez-vous transmettre l’information au conseil scientifique, ou en tout cas à Lila Bouadma qui expliquait dans une vidéo qu’il était loin d’être simple de porter un masque, et que c’était une fausse sécurité si on l’utilise mal, voire une « catastrophe » (https://www.youtube.com/watch?v=a1pGAfWjf5c). Ne voyez-vous vraiment aucune différence entre :

·         des personnels soignants qui sont informé-e-s sur le protocole à respecter pour utiliser un masque, dont c’est effectivement le métier, qui le changent extrêmement régulièrement, etc.

·         le grand public dont une bonne partie n’a aucune conscience (comment pourrait-il en être autrement) des risques et conditions à respecter, et qui doit faire face à de multiples contraintes pour l’utiliser au cours de la journée (on le met sans forcément se laver les mains, on l’enlève, sous le nez, sur le nez, sur le cou, sur le coude là où on a éventuellement éternué, on le remet, on tousse on parle avec et on le garde, on l’utilise plusieurs jours, sans forcément le laver, etc.), et qui n’a pas les 200€/mois/famille estimés par Le Parisien à dépenser pour avoir le nombre de masques suffisant

Vous ne voyez vraiment pas de différence entre les deux propositions ? Et donc, on peut s’attendre d’après vous à la même efficacité ? Je pense qu’il est raisonnable de penser qu’on est loin de la même efficacité de protection, ce qu’expliquait d’ailleurs pendant l’épidémie le gouvernement, le conseil scientifique et l’OMS.

 

10, au total, la situation actuelle n’est pas catastrophique, elle est préoccupante. Elle deviendrait inquiétante si on n’accroissait pas les « mesures barrières » dont le port du masque dans la foule est l’un des éléments notables.

Malheureusement, cette synthèse relève plus de la pensée magique que d’un raisonnement scientifique. Reprenons votre élève incompétent J.-F. Toussaint, qui affirme que 40% des hospitalisations cet été sont dues à des contractions du virus à l’étranger. Nous avons là quelque chose de tangible (si c’est vérifié : personnellement, je n’ai pas encore trouvé de données officielles là-dessus), sur quoi baser une hypothèse : fermons les frontières et nous verrons illico baisser le nombre d’hospitalisations de 40%. Après quoi, si nous constatons que cela baisse de moins de 40%, on pourra dire : « Attention, ça a baissé moins que prévu, c’est donc qu’il se passe quelque chose à la hausse, à surveiller ». Au contraire, si cela baisse de plus de 40%, on pourra être d’autant plus rassurés et se dire qu’en plus de l’effet escompté, l’épidémie continue de décroitre.

Mais, avec le port du masque obligatoire dans la population, dont l’effet escompté n’est pas objectivable (à moins que vous n’ayez des chiffres, une publication scientifique qui fasse consensus qui démontre qu’on réduit de x% les contaminations), on ne peut pas être démenti par les faits. C’est ce dont vous vous servez. Si, après la mise en place de la mesure, l’épidémie continue de diminuer, on dira que c’est grâce à la mesure. Si, au contraire, l’épidémie reprend, on dira qu’il était d’autant plus nécessaire de mettre la mesure en place. Mais on n’en sait rien ! Le seul « bon sens » fait foi, peut-être, mais pas science. Personne ne peut mesurer, objectiver, l’effet de cette mesure. On est plus proche de la pensée magique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous assistons à une traque des scientifiques dont les oreilles dépassent. Puisqu’il n’y a pas de consensus scientifique sur la question, il faut donner l’apparence du consensus. Donc, un scientifique qui dit autre chose doit être disqualifié (« délire », « ivresse de notoriété », « pas de compétence »). De la même façon, Laurent Toubiana est accusé dans les médias de semer la confusion dans l’esprit des gens (mais personne ne peut lui dire qu’il a tort : c’est simplement qu’il ne faut plus dire ce qu’il dit maintenant).

Je ne vois malheureusement dans votre publication pas un « point objectif ». Or, j’ai beaucoup été marqué par la lecture de L’Antéchrist de Nietzsche (désolé), et il y précise, ce que j’apprécie beaucoup, qu’on est d’autant plus coupable qu’on se rapproche de la science. Que le quidam fasse preuve d’un manque d’objectivité, on peut le lui faire remarquer, mais pas forcément lui en vouloir. Mais que quelqu’un, dont c’est la formation, le métier, et l’ambition affichée, en fasse autant, on est légitime à en attendre davantage.

Il n'y a pas de consensus scientifique sur les questions que vous présentez comme tranchées, objectivement et scientifiquement. Or, c'est un très grand problème pour l'image de la science dans le pays que des personnes identifiées comme "autorité scientifique", comme vous l'êtes, présentent un consensus qui n'existe pas. La science n'a jamais eu et n'aura jamais à présenter une Vérité unique et simplifiée jusqu'au simplisme. La science avance petit à petit, et pose toujours de nouvelles questions en tentant de répondre aux précédentes. La conséquence prévisible de votre positionnement est de rejeter dans ce que les médias appellent le "complotisme", le "populisme", "l'anti-science", et maintenant le "covidoscepticisme" (puisque le scepticisme et le doute sont devenus une insulte) une grande partie de la population qui n'est pas plus convaincue que ne le sont un bon nombre de vos collègues scientifiques par votre analyse de la situation et des décisions prises. Je trouve en réalité assez curieux que vous parliez "des miens", et que vous n'interveniez que pour critiquer Didier Raoult ou maintenant Jean-François Toussaint, alors qu'il y a beaucoup d'autres problématiques qui frappent la science, ce qui ne peut que renforcer la défiance populaire envers la science vue comme une petite caste élitiste au service du pouvoir. Ceci doit être déconnecté.

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