Afficher On pense avec les pieds sur une carte plus grande

jeudi 8 février 2018

Et grâce aux secours en montagne...

Ah! on fait moins le malin là?! 


Me voilà parti, ce dimanche, en des recoins dont je tairai les noms, pour ne pas divulguer d'information sensible. Je pars chercher traces et indices de présence des loups, dans les forêts enneigées, plusieurs mois après n'y avoir plus remis les pieds. Je ne trouverai rien, niveau loups, mais aurai la surprise de trouver le lynx, que je croyais cantonné 3 vallées plus loin. Il n'en resterait qu'une vingtaine dans les Alpes, 120 en France, et nous devons cette catastrophe aux amoureux de la nature qui braconnent à leurs heures défendant et corps perdues. 

Le silence des bêtes from vincent munier on Vimeo.


Résumons-nous : grande joie d'avoir des preuves de sa présence ici, notamment avec les traces de son repas de la veille. J'en suis, moi, au repas du midi, avec des chamois tout ébouriffés par ce froid de canard. Et là, ma journée a tourné.


Une petite barre amandes-chocolat pour finir, et repartir en vadrouille. J'ai le temps encore, il n'y a personne dans cette vallée, tout est tranquille, je peux poursuivre mes recherches. Mais ma langue est formelle et me l'annonce directement : il y a des cacahuètes parmi les amandes. Et paf!


Cherchant ma trousse de secours et surtout les antihistaminiques qui s'y trouvent, je recrache tout ce que je peux. Pas de trousse! Flash... enlevée le matin pour fouiller le fond du sac, j'ai oublié de la remettre... Jamais je n'avais senti à ce point mon sang ne faire qu'un tour. Compris! Direct! ça devient grave... Je suis à 2h de marche du parking, en plein milieu d'une forêt de montagne où personne ne passera de la journée. En temps normal, je peux faire ce trajet en un quart de cadran... je commence par me dire que j'ai l'autonomie pour rentrer.


Toudanl'sac'sul'dos et dare-dare! Pas si vite, quand même, évident qu'j'suis pas "en temps normal"... prudent mais efficace. De toute façon, j'étais hors sentier, il fallait sortir de ce traquenard, rejoindre la piste forestière. Sens plus mes dents, tout a gonflé là-d'dans... et 2 œdèmes aux yeux j'y vois plus grand-chose. Visage et doigts qui se raidissent, jambes qui faiblissent... miss tétanie arrive. Pas moi! j'ai pas beaucoup avancé... Je garde mon sang-froid, je révise mon objectif : atteindre la très mince clairière où les secours pourront me repérer et m'atteindre facilement. Je n'en suis plus très loin, mais je n'ai plus de forces. Il est étrange le dernier pas où tu comprends que tu ne pourras plus en faire un autre. M'enfin j'y suis.


Des autres, je dépends donc. Encore faut-il pouvoir les joindre. Je ne sais pas si c'est le manque de tonus, le froid, ou la neige sur l'écran, mais j'ai le plus grand mal à activer le téléphone, et surtout à taper 112. C'est légèrement stressant, ce qui ne fait que donner un coup de pouce à la tétanie. Pouce qui me sert quand même à faire le dernier numéro appelé. Dulcinée répond, situation partiellement expliquée, mais secours vont être prévenus.


J'utilise mes dernières forces pour me préparer à attendre dans la neige. Je mets tous les vêtements que j'ai, la cape de pluie sous les jambes, le sac sous le buste, la serviette sur le dos, j'étale la carte IGN à côté de moi, je mets le gros gant à la main droite, quasi paralysée et y bloque le téléphone, et me mets en PLS. Le téléphone sonne, je n'arrive pas à répondre... Plus tard, j'y arriverai, les secours, je les entends (ils savent sur quelle commune je suis, et se demandent où j'ai pu aller, et me prennent pour un "bon marcheur") mais eux ne m'entendent pas! Ils m'envoient des SMS... veulent savoir où je suis pour décoller... J'ai lu mes coordonnées UTM sur la carte, mais comment les envoyer avec les doigts tétanisés? Je ne sais combien de temps j'ai mis à leur envoyer, et j'ai fini par voir leur réponse "vu sur la carte". Banco! Enfin banco banco!... si j'ai donné les bonnes coordonnées! ce qui m'est facile en temps normal, mais là...


Enfin je n'ai pas eu le temps de tergiverser, l'hélico m'est arrivé droit dessus, ils ont fait un petit tour et ont accouru... un peu paniqués en voyant beaucoup de sang dans la neige!
- Tu es blessé? c'est quoi ce sang?
- Non, un lynx qui...
- Comment tu sais? comment tu sais que c'est un lynx?
- ...

N'ont pas attendu! Allergie, tétanie, froid, alors oxygène, civière, on attache, tout va bien? et hop! dans les airs... Fort agréable l'impression, sous les pales, que tu vas te faire découper en morceaux... mais une fois rentré dans l'hélico, ça va mieux...


Il ne me restait plus qu'à dégonfler à l'hôpital. Bref! Tout ça pour quoi? Pour

  1. rendre hommage aux secours en montagne, grands pros! et qui seuls peuvent sauver de ce genre de mauvais pas
  2. rappeler à qui lira cet article qu'aller en montagne, ce n'est pas faire une promenade au parc du coin, et que ça peut être très dangereux. Ce dimanche, il me manquait l'essentiel (le médoc), mais pas tout ce qui peut paraître superflu et pourtant : 
  • mon équipement m'a parfaitement protégé de l'hypothermie pendant ces 2h de tétanie dans la neige ; 
  • avoir la carte IGN (et savoir lire les coordonnées) ne m'aurait servi à rien dans ce coin que je connais comme ma poche, mais permet aux secours de tirer tout droit (au moins 2h gagnées par rapport à une remontée de la piste depuis le parking). 
  • Et quitte à prévenir d'où on va, autant le faire précisément et avec un horaire de retour prévu...

4 commentaires:

  1. Récit bouleversant, je l'ai relu 3 fois...
    Merci à Dulcinée, à l'équipe de secours en montagne et à toi qui était bien équipé pour tenir 2 heures dans ces conditions et qui a réussi à envoyer tes coordonnées.

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  2. J'en ai les larmes aux yeux... et pour une fois, tu ne m'as pas fait rire ! Cependant, j'espère déconner encore et encore avec toi mon cher beau frère ! J'ai bien eu peur que vendredi était la der

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  3. Merci pour les messages

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  4. Là t'as pas fait semblant! Ouf!
    Et toujours c'est très bien écrit)

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